LES BALLETS RUSSES ET LE FESTIVAL D’AIX : UNE LONGUE HISTOIRE DE LA MODERNITÉ SCÉNIQUE

75 ans Au festival Publié le 21/03/2023
L’Enlèvement au Sérail, production 1967 (reprise du spectacle créé en 1951)
© Jean Bouville, Ville d’Aix-en-Provence

Interdisciplinaire et moderne par excellence, l’esprit des Ballets russes guide Gabriel Dussurget, premier directeur du Festival d’Aix, dans la constitution de l’identité artistique du Festival, favorisant en particulier la collaboration avec des peintres-décorateurs et des chorégraphes. En juillet 2023, la programmation de quatre soirées consacrées aux ballets de Stravinski L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du Printemps (œuvres initialement commandées par Diaghilev pour sa compagnie des Ballets Russes), illustrés par trois créations de films (Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico, Evangelia Kranioti), continue d’inscrire le Festival d’Aix dans cette riche filiation artistique.

FONDER LE FESTIVAL D’APRÈS LA COMPAGNIE DES BALLETS RUSSES

Au début du XXe siècle, l’impresario russe Serge de Diaghilev crée la compagnie de danse des Ballets russes, qui tourne en Europe et en particulier à Paris entre 1909 et 1929. Le Sacre du Printemps, ballet composé par Stravinski pour le Théâtre des Champs-Élysées (1913) est emblématique de cette période d’effervescence artistique et d’un certain type d’alliance entre la danse, les décors et la musique proposée par la compagnie.

Alors même qu’il ne pense pas encore à fonder un festival à Aix, Gabriel Dussurget raconte le choc esthétique produit par cette découverte lorsqu’il assiste à des spectacles à Paris, dans l’entre-deux-guerres :

Les Ballets russes me révèlent la danse, mais j’ai aussi, grâce à eux, le coup de foudre pour la peinture.

Le Magicien d’Aix. Mémoires intimes, p. 48

L’idéal d’art total véhiculé par les Ballets russes se retrouve ainsi dans les opéras du Festival.

SCÉNOGRAPHIER ET CHORÉGRAPHIER L’OPÉRA

Les spectacles présentés au Festival d’Aix à partir de 1948 témoignent de cette pensée qui cherche l’harmonie entre décors, costumes et mise en scène. Sans être à proprement parler l’instigateur du recours aux peintres-décorateurs, Gabriel Dussurget transpose à l’opéra cette pratique à laquelle les organisateurs de ballets recouraient particulièrement dans la première moitié du XXe siècle. Ayant fondé le Ballet du Théâtre des Champs-Élysées avec Roland Petit et Boris Kochno en 1945, il sollicite d’ailleurs de nombreux artistes de ce réseau.

En invitant André Derain, Antoni Clavé, Georges Wakhévitch, Suzanne Lalique ou encore André Masson à réaliser les toiles peintes pour servir de décors à tous les opéras produits au Festival, Gabriel Dussurget continue de faire vivre à Aix-en-Provence l’esprit des Ballets russes, quelques décennies après leurs heures de gloires parisiennes.

Plus encore, Gabriel Dussurget sollicite des artistes de la discipline reine des Ballets russes : des danseurs. Une attention tout particulière est accordée aux intermèdes dansés des divers opéras portés sur la scène de l’Archevêché : L’Orfeo de Monteverdi (1965) est chorégraphié par Clotilde Sakharoff (figure de la danse expressionniste allemande du début du XXe siècle), tandis que Georges Skibine (fils de Boris Skibine, danseur de la troupe de Diaghilev) s’attèle aux ballets des Nozze di Figaro (1962) et d’Idomeneo de Mozart (1963).

Gabriel Dussurget applique donc la formule « Ballets russes » au monde lyrique, lui donnant un nouveau souffle.

IGOR STRAVINSKI AU FESTIVAL

Les œuvres composées par Stravinski pour les Ballets russes ont souvent résonné au cours des différentes éditions du Festival, mais essentiellement sous la forme de concerts.

Petrouchka est donné en 1973 par l’orchestre de l’ORTF (direction Jean Martinon) au Tholonet ; L’Oiseau de Feu en 1983 au Pavillon Vendôme, sous la baguette de Jean-Claude Casadeus à la tête de l’Orchestre national de Lille. Plus connu encore, Le Sacre du Printemps entre au répertoire du Festival en 1958 dans un concert dédié à Stravinski conduit par Hans Rosbaud et le Sinfonieorchester des Südwestrundfunks, avant de connaître quelques reprises, notamment en 2016 sous la direction d’Esa-Pekka Salonen, dans le cadre du cycle Stravinski du Festival (2015-2017).

D’autres œuvres de Stravinski sont également données en version scénique. C’est le cas de ses « scènes chorégraphiques russes pour quatre pianos » intitulées Les Noces, données à deux reprises au Festival, en 1962 et 1972.

L’œuvre avait été créée à Paris en 1923 par la compagnie des Ballets russes, dans des décors et costumes conçus par Natalia Gontcharova (1881-1962), une des principales artistes employées par Diaghilev. La scénographie, laissée presque intacte pour l’occasion, fait de la production aixoise un hommage direct aux Ballets russes. Georges Skibine, chorégraphie d’ailleurs ces Noces pour deux danseurs (Pierre Lacotte et Hélène Sadovska) attestant de la grande continuité esthétique entre les manifestations, à plus de trente ans de distance. Le spectacle est servi par les voix de Mady Mesplé, Christiane Gayraud, Michel Hamel et André Vessières.

Enfin, mais plus tardivement, des opéras - et autres œuvres s’y apparentant - de Stravinski trouvent leur place sur les scènes du Festival : L’Histoire du soldat (1965), puis The Rake’s Progress (1992 et 2017), Le Rossignol (2010), Œdipus Rex (2016).

La soirée Ballets russes de 2023 revient ainsi aux premières présentations des œuvres de Stravinski au Festival. Le virtuose Orchestre de Paris conduit par Klaus Mäkelä y réalisera la prouesse technique de donner trois ballets dans un même concert.

DES PROJETS SCÉNIQUES INNOVANTS

De nombreux projets des périodes postérieures du Festival s’inscrivent dans cette filiation du dialogue entre les arts, et de l’attention portée à la recherche musicale et scénique, bien qu’ils ne se réclament pas des Ballets russes. En 1961, Il Combattimento di Tancredi e Clorinda, madrigaux de Monteverdi, sont mis en espace et chorégraphiés par Janine Charrat.

Plus proches de nous, d’autres œuvres a priori non scéniques s’animent dans les différents théâtres du Festival : Winterreise et Trauernacht (2014), et plus récemment encore, sous la direction de Pierre Audi, Requiem (2019) et Résurrection (2022). En choisissant d’élargir les limites traditionnelles du spectacle lyrique, le Festival d’Aix interroge encore aujourd’hui la porosité entre les disciplines artistiques et plaide pour de nouvelles formes de spectacles d’art total.

La soirée Ballets Russes, programmée au Stadium de Vitrolles les 8, 10, 11 et 12 juillet 2023, rend hommage à l’esprit moderne des Ballets russes, un siècle après leur succès parisien, et au cap que s’est toujours fixé le Festival d’Aix : l’interdisciplinarité au cœur de l’art lyrique.

Anne Le Berre

 

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